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Caroline Vu, invitée à la journée d'inauguration de l'Espace de la diversité

Publié le 29 novembre 2016

C’est le jeudi 10 novembre 2016, à la maison d’Haïti que l’Espace de la diversité a été inauguré, rassemblant une centaine de participants : auteurs, passeurs et opérateurs culturels du milieu.
 
L’Espace de la diversité, organisme à but non lucratif, initié par les éditions Mémoire d’encrier, est né du désir de faciliter le dialogue des imaginaires, de décloisonner les cultures, les communautés, les langues et les littératures. Partager expériences, savoirs et savoir-faire dans le respect des cultures des uns et des autres, tel est le sens de ce rendez-vous de travail. Il est fondamental de réévaluer l’apport des voix d’origines diverses ainsi que les obstacles et les problèmes systémiques comme le racisme, l’exclusion et l’intolérance auxquels est confrontée cette parole.
 
 
ALLOCUTION DE CAROLINE VU
Bonjour tout le monde,
Merci, Yara et Rodney, de m’avoir invitée aujourdhui.
 
Je n’ai rien de profond ni de philosophique à vous raconter. Je vais juste vous parler un peu de mon parcours personnel. Le mur, sujet de discussion de ce jour, c’est pour moi une réalité et non un concept abstrait ou poétique.
 
Je suis née au Vietnam et j’ai vécu toute mon enfance pendant la guerre à Saïgon. J’ai quitté mon pays natal à l’âge de 11 ans  
 
En 1970, ma mère, qui était médecin, a obtenu une bourse pour aller étudier aux États-Unis. Donc, avec ma mère et mon frère, on s’est installés dans une petite ville du Connecticut. Être Vietnamiens dans une petite ville américaine pendant le pic de la guerre du Vietnam était difficile. Le pays était gouverné par M. Nixon, un républicain pur et dur. Même si ses propos ne ressemblaient pas à ceux de M. Trump, le pays traversait des périodes sombres avec des manifestations presque quotidiennes contre la guerre. Dans les rues, les gens nous regardaient de travers. On se sentait coupables chaque fois qu’un soldat américain mort ou blessé revenait en ville.
 
Mes camarades de classe n’étaient pas méchants avec moi. Mais je me sentais exclue de leur monde. Il y avait un mur d’indifférence qui nous séparait. Personne ne me demandait comment était la vie au Vietnam. Comment j’avais survécu à la guerre ? Les autres enfants, et même les professeurs, manifestaient très peu d’intérêt pour mon passé, même si j’étais la seule éudiante vietnamienne en classe cette année-là. J’aurais pu venir de France, d’Iran ou du Mexique, c’était pareil pour eux. Mes camarades ne parlaient que de leur amis, de leurs chiens, de leurs musiciens préférés. Je trouvais leur indifférence difficile à comprendre parce que les choses se passaient différemment au Vietnam.
 
 Après deux ans aux USA, ma mère a donc décidé de déménager à Montréal. Elle aimait le côté francais et cosmopolite de Montréal. Au Canada, j’ai étudié la psychologie et la médecine. De 2001 à 2004, j’ai travaillé comme médecin dans une clinique médicale pour les immigrants. C’était l’époque de la guerre d’Afghanistan et d’Irak. À la clinique, je recevais beaucoup de réfugiés de ces deux pays. J’avais aussi une clientèle chinoise et d’autres immigrants d’Afrique. La plupart de mes patients consultaient pour des maux physiques : douleurs au ventre, maux de tête, étourdissements, palpitations, insomnie, etc. Mais je savais que ces  symptomes physiques cachaient des souffrances psychologiques, des souffrances que mes patients refoulaient ou qu’ils étaient incapables d’exprimer par manque de vocabulaire. 
 
Les langues occidentales sont riches en termes affectifs. Il existe plus d’une dizaine de mots pour exprimer un état de détresse. Ceci n’est pas le cas pour certaines langues orientales comme le vietnamien ou le chinois. L’équivalent des mots comme dépression, angoisse, mélancolie n’existe pas dans cette culture confucéene qui prime l’harmonie sociale et le respect de la hiérarchie avant tout.
 
Même avec l’aide des interprètes, ce n’était pas facile de faire parler mes patients. Des questions banales comme « Comment ça va ? » étaient inutiles. Pour les gens inhabitués à s’ouvrir spontanément aux autres, « Comment vas-tu ? » n’est pas une invitation au dialogue. Pour les jeunes, éduqués dans un système axé sur l’apprentissage du par coeur, « Que penses-tu de ? » est aussi inutile. Après plusieurs tentatives, j’ai compris que pour vraiment communiquer avec mes patients, pour défaire le mur qui nous séparait, il fallait poser des questions directes et personnelles. Je leur demandais de me décrire leur village avant la guerre. Je leur demandais de me dépeindre leur maison et leur école d’autrefois, de me parler des habitudes alimentaires de leur famille, de me raconter les circonstances de la mort de leurs voisins et de me retracer leur trajet pour fuir la guerre. En bref, je posais à mes patients toutes les questions que j’aurais aimé qu’on me pose pendant mon séjour aux État-Unis.
 
Avec mes questions simples mais personnelles, j’ai réussi à faire le portrait de mes patients. J’ai réussi à ramasser leurs histoires. Ces histoires – souvent tristes mais parfois drôles – ont inspiré mon premier roman Palawan Story. Avec ce roman, j’ai donné une voix aux nouveaux arrivés qui ont tous des choses à nous raconter. Des choses qui peuvent nous transformer si seulement on prend  le temps de les écouter.  
 
Mais pour être à l’écoute de l’autre, il faut d’abord savoir comment faire parler l’autre. Si notre culture occidentale encourage l’expression de soi, ceci n’est pas nécessairement le cas pour les autres cultures. Pour plusieurs, c’est mal vu de parler de soi, c’est mal vu de prendre la parole sans y être invité. Si par pudeur, on se retient de poser des questions personnelles aux autres, si seulement les psychologues ont le monopole de ces questions dans notre société, comment alors peut-on se parler ?
 
Défaire le mur, c’est avant tout savoir poser les bonnes questions.

Caroline vu
 

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